AccueilPatrimoine historiqueUn épisode de l’histoire de Saint-Leu d’Esserent en 1652

Un épisode de l’histoire de Saint-Leu d’Esserent en 1652

Henri de Campion (1613/1663) était un petit noble normand de vieille souche dont les terres se trouvaient entre Elbeuf et Le Neubourg près de Rouen. Suivant les traditions de la noblesse il avait épousé le métier des armes et s’était enrôlé en 1652 sous la bannière du duc de Longeville qui venait d’abandonner la rébellion des Frondeurs pour se rallier au tout jeune Louis XIV. De ce fait Campion redevint un fidèle sujet du Roi, car lorsque l’on s’était allié à un prince ou à un seigneur on se devait de le servir et de tenir sa parole même si son comportement ne vous convenait plus.

Longeville fut alors chargé par le roi de lever un régiment de cavalerie et un autre d’infanterie qu’il rassembla près de Beauvais sous le commandement du colonel Henri de Campion. Ces régiments en attendaient d’autres en formation. Ils devaient ensuite rejoindre, sous le commandement de Charles de Rousse, marquis d’Allembon, (nommé Maréchal de Camp depuis février 1652) l’armée du duc d’Elbeuf  qui se formait à Compiègne.

Or, le marquis d’Allembon faisait partie de ces seigneurs qui rançonnaient les  villes et les villages. Normalement, les troupes étaient nourries et logées par les habitants de l’endroit où elles se trouvaient, mais certains chefs d’armée profitant des désordres de la guerre proposaient aux bourgs et aux villages de les exempter de ces obligations contre une importante somme d’argent qu’ils mettaient dans leurs poches. Si les habitants refusaient ils se livraient au pillage et incendiaient maisons et églises.

Voici ce qu’écrit Henri de Campion dans ses Mémoires (1) à propos d’un événement qui a du se passer à la fin de l’automne 1652 :

« Après avoir été en plusieurs villages, il m’envoya de Beauvais,  où il se tenoit d’ordinaire, l’ordre d’aller à Saint-Leu (2), gros bourg à dix lieues de Paris sur le rivière d’Oise. Je m’informai du lieu, et l’on me dit que les habitants nous refuseroient, tant pour se fier à la force de leurs murailles, qui étoient bonnes, qu’à cause qu’ils étoient très mutins, et avoient depuis peu repoussé le sieur de la Salle, sous-lieutenant des gendarmes du Roi et Lieutenant-général  de ses armées, qui les avoit assiégés avec bien plus de troupes que je n’en avois et deux pièces de canons. »

« J’appris au vrai tous ces détails, qui m’inquiétèrent ; mais comme j’ai toujours été exact à obéir à ceux qui ont eu droit de me commander, je fis marcher le régiment jusque sur une hauteur d’où l’on découvre aisément Saint-Leu, et sur laquelle ils pouvaient voir le corps en bataille. J’envoyai ensuite des officiers montrer l’ordre que j‘avois. Les habitants les renvoyèrent avec menace ; et après avoir arboré un étendard sur leurs murailles, se mirent tous en armes pour les défendre. Sur leur refus de nous recevoir je partageai le régiment en plusieurs petits bataillons qui s’avancèrent contre le bourg, comme pour attaquer le côté qui regarde la plaine. Ils marchèrent sur une même ligne à cent pas de distance les uns des autres, jusqu’à la portée du mousquet, qu’ils firent halte. J’en envoyai un à des maisons hors (3) et assez proches des portes ; mes hommes étoient à couvert par le moyen de ces maisons, peu éloignées de la rivière. Je me promenai ensuite à cheval avec quelques officiers, pour reconnaître le fort et le faible du lieu, et remarquai près de la rivière une petite poterne au-dessous de la porte, près de laquelle étoit mon bataillon. Ce point me parut le plus favorable pour l’attaque, et faisant prendre de la paille aux soldats postés derrière les maisons dont j’ai parlé, ils marchèrent vers la grande porte, comme pour la brûler. En même temps, je mis pié à terre avec quelques capitaines et officiers, et, suivi d’un nombre de soldats d’élite armés de fusils, je m’avançai droit à la petite porte, jugeant que pour faire connoissance avec ce nombreux régiment (4), il falloit que je me misse en avant à cette première occasion, pour donner bon exemple. »

« Lorsque je fus près de cette poterne, les habitants firent une décharge, et leur commandant, qui s’étoit aperçu de mon dessein, vint avec les meilleurs de ses hommes pour tenir tête. J’ordonnai de rompre la porte, en même temps que mes soldats tiroient par des trous qui y étoient et blessèrent le commandant du lieu. La porte fut alors brisée, et voyant que l’affaire alloit à souhait, je me tins à l’entrée et y mis un officier, craignant que les soldats, passant de force, ne tuassent tous les habitants, qui commençoient à s’étonner, et firent crier par un officier de la garnison de Senlis, que le sieur de Saint Simon,  gouverneur de cette ville, avait envoyé pour les assister, qu’ils étoient prêts à traiter avec le commandant. Je répondis qu’il pouvoit sortir sur ma parole ; ce qu’il fit pour me dire que je n’avois qu’à demander ce que je voulois d’argent pour ne point loger, et qu’il feroit en sorte que je fusse content. Je repartis que je n’étois point homme d’intérêt, et que je désirois seulement entrer, suivant mon ordre. Il me représenta que si j’entrois avec la quantité de monde que j’avois, la résistance que je venois d’essuyer, les blessures de plusieurs personnes et la nuit, car le jour commençoit à manquer, je ne pourrois peut-être empêcher la ruine entière de Saint-Leu. Je dis que si je n’entrais point, tout le monde croiroit que je ne l’aurois pu, et qu’ainsi j’entrerois ; que pour la sécurité des habitants, mon honneur et ma conscience y étant engagés, il ne s’en mit pas en peine. Il retourna par la petite porte dont j’étois le maître, et dit aux habitants ma résolution, à laquelle ils se soumirent, tant par l’épouvante où ils étoient qu’à cause de la blessure de leur chef. »

« Je remis le régiment ensemble, et après avoir dit aux capitaines qu’ils me repondroient de leurs compagnies, je les fis toutes marcher l’une après l’autre, les capitaines à la tête chacun de la sienne, les enseignes au milieu, les lieutenants à la queue, et les sergents sur les ailes. On fit défense, par un ban, à tous les soldats, sous peine de mort, de quitter leurs rangs jusqu’à ce qu’ils eussent leur billet de logement. Cet ordre, qui s’observa rigoureusement, sauva le bourg, et fut cause que l’on ne fit point ce qui se pratique dans les lieux où on loge de gré à gré. Le lendemain matin, l’on me vint avertir que les soldats incités, je crois, par des capitaines fâchés de n’avoir rien gagné dans un endroit si riche en un temps où tout sembloit permis, avoient forcé l’abbaye, où l’on avait retiré les meilleurs effets. J’y courus, comme il étoit nécessaire, et remis chacun en son devoir. J’avoue que beaucoup d’officiers me donnèrent plus de peine que les soldats ; mais je pris les choses de telle hauteur qu’ils furent obligés, malgré leur avidité, de se contenter de vivre avec ordre et douceur. Le marquis d’Allembon arriva après que j’eus tout réglé. Je pense qu’il n’eut pas traité les habitants aussi bien que moi s’il se fut trouvé à l’attaque et à la prise du bourg. »

« Nous y restâmes cinq ou six jours, et allâmes ensuite à Cire, sous Marlou (Mello), appartenant à la duchesse de Chatillon, sœur du sieur de Montmorency-Boutteville, et la plus belle dame de ce temps. »  ….

Saint-Leu fut sauvé grâce au comportement courageux et efficace du colonel Henri de Campion.

Il évita le pillage et l’incendie mais il faut aussi penser à la population qui ne fut ni maltraitée, ni massacrée comme cela a été le cas au XVème siècle.

Le village avec ses terres riches, sa rivière Oise et ses carrières avait suffisamment d’atouts pour se relever petit à petit malgré les conditions économiques difficiles de la fin du XVIIème et au XVIIIème siècle, mais il n’en était pas de même pour l’église et l’abbaye. Le cardinal Mazarin était aussi abbé de Cluny. A ce titre, vers cette époque, il était venu inspecter l’abbaye. Dans son rapport il décrit le monastère comme très appauvri, dépeuplé et dans un état déplorable, ce qui laisse supposer que si l’église et le monastère avaient été brûlés l’ensemble monastique aurait vraisemblablement disparu.

(1) nouvelle édition, publiée par M. C. Moreau, Paris 1857 page 249 et suivantes.
(2) durant les évènements de la Fronde, Saint-Leu est toujours resté fidèle au Roi.
(3) hors des murs.
(4) il venait de prendre le commandement de 1500 hommes dont il voulait se faire connaître.

Ce texte est extrait de : Causeries du Besacier. Mélanges pour servir à l’histoire des pays qui forment aujourd’hui le département de l’Oise par le vicomte de Caix de Saint-Aymour, Paris, 1895.

Je tiens à remercier Monsieur Pierre RIGAUD qui m’a fait découvrir le colonel Henri de Campion.

Annette METZLER